par Vilma Coccoz | le 21 décembre 2021 | revue 26/ INTERPRÈTES DE L'INCLUSION | thème Ailleurs
Il y en a pour qui dire quelques mots, ce n’est pas si facile. On appelle ça autisme. […] C’est simplement des gens pour qui le poids des mots est très sérieux […] J. Lacan[1]
Dans son livre, traduit en espagnol sous le titre Yo pienso diferente (je pense différemment)[2], Josef Schovanec révèle son parcours personnel et se distingue comme l’un des premiers auteurs français « d’autibiographies »[3], nom donné par Donna Williams aux témoignages de personnes autistes, en raison, entre autres, de l’importance acquise dans leurs expériences subjectives par l’accès à cette nomination qui, de nos jours, est fièrement revendiquée comme une identité face aux soi-disant « neurotypiques » ou « normés ».
Schovanec tisse l’histoire entre ses souvenirs et une auto-observation contrastée sur ses particularités et les réactions qu’elles suscitent chez les autres. Si, lors d’un premier contact, il peut être considéré comme un idiot, dans un deuxième temps, lorsque, tout en reconnaissant son autisme, il mentionne ses études en sciences politiques, son doctorat en philosophie et sa condition de polyglotte, l’évaluation s’oriente vers le génie.
« Écrire est plus facile que parler », affirme-t-il ; grâce à la lecture et à l’écriture, il a pu progresser dans son apprentissage, se distinguant par ses bonnes notes. Une passion pour la connaissance qu’il avoue être le résultat d’une rencontre : son père lui a offert un petit livre d’astronomie, qu’il a appris par cœur. Plus tard, un collègue de son père lui offre un numéro de la revue Ciel et Espace, consolidant ainsi l’astronomie comme « quelque chose de plus qu’une passion ». Elle devient un « véritable instrument créatif de sa personnalité » et de sa « socialisation virtuelle » car une revue pour passionnés parle de personnes spécifiques, qui communiquent pour planifier des rencontres et des séminaires ; des revues, etc.[4]
L’avidité de Schovanec pour la connaissance, qu’il décrit lui-même comme « sa toxicomanie », était évidente dès son plus jeune âge, lorsque, visiteur régulier des bibliothèques, il dévorait dix livres à la fois sur chaque étagère. Son comportement étrange suscitait l’incompréhension et l’hostilité de ses camarades et de ses professeurs, il était seul, il avait peur, il était battu quotidiennement, il était « incapable de tenir des discours sociaux, ceux qui créent des liens et, plus fondamentalement, qui font que leur auteur peut être considéré comme humain et sain d’esprit »[5]. Il reconnaît qu’une invitation à déjeuner chez des amis de ses parents lui a causé plus de violence à l’idée de converser que le fait d’être insulté...[6]
Il décrit également les difficultés avec son corps. Il n’a pas trouvé facile d’apprendre à marcher, et pour cette raison et malgré ses efforts pour être avec les autres enfants, en tant qu’enfant il ne pouvait pas participer aux jeux de groupe. Il a eu des accès de colère et des moments de retrait complet à cause de l’anxiété, pouvant passer des heures à se cacher, ce qu’il considère comme très positif, un droit qui devrait être respecté, droit à s’isoler afin de se protéger, afin de trouver un « calme sensoriel ». Plus tard, reconnaissant ses bizarreries, il a fouillé dans les traités de psychiatrie, de psychologie et de psychanalyse pour trouver une explication à son comportement inhabituel. « Grâce à Internet, grâce à une multitude d’indices, j’avais soudain quelques preuves que j’étais fou à lier. » [#_ftn77]
Face à la difficulté de définir l’autisme, il est enclin à l’associer à la folie plutôt qu’au handicap, comprenant que ce dernier implique la notion de déficit avec son corollaire de mesures et sa suite d’arbitraire. Schovanec soulève les questions fondamentales pour être non « capacitiste »[8] et l’illustre volontiers avec sa propre histoire. Il ne se rappelle pas quand il a commencé à parler, mais il est certain que jusqu’à l’âge de six ou sept ans, seule sa famille pouvait comprendre ce qu’il disait[9]. C’est pourquoi, dit-il à juste titre, « avant d’exiger quoi que ce soit d’un enfant, il faut s’entendre sur ce que signifie « parler » (...) : un enfant qui peut lire des lettres médiévales en latin et les commenter par écrit est un retardé mental ?..[10] » Et il poursuit : « Supposons que vous soyez psychologue. Vous amenez dans votre bureau un enfant autiste qui se met à parler en prononçant ces mots : « Alnitak, Alnilam, Mintaka ». En déduirez-vous qu’il est atteint d’une forme de psychose infantile ? Un autisme qui limite toute communication humaine ? Ou reconnaîtrez-vous le nom de trois étoiles de la ceinture d’Orion et entamerez-vous une conversation passionnée sur l’astronomie ? »[11]
[1] J. Lacan, conférences américaines de 1975, publiées dans Scilicet 5/6 (p. 46).
[2] J. Schovanec, Je suis à l’Est !, 2012, Plon, Paris.
NB : ce texte étant écrit originellement en Espagnol, les références des citations en notes correspondent à l’occasion aux éditions espagnoles des ouvrages.
[3] D. Williams, Alguien en algún lugar, N.E.D. Barcelona 2012, p.14.
[4] « De este modo he aprendido indirectamente normas de cortesia que de otra forma me habrian parecido molestas y aburridas. » (De cette manière j’ai appris indirectement les codes de politesse qui d’un autre point de vue m’apparraissaient dérangeants et ennuyeux) J. Schovanec, Yo pienso diferente. Palabra, Madrid. 2015, p 38.
[5] J. Schovanec, Yo pienso diferente. Palabra, Madrid. 2015, p. 26.
[6] Ibid., p. 82.
[7] Ibid.
[8] Capacitisme et capacitiste : terme souvent utilisé dans la communauté des autistes pour désigner les échelles par lesquelles leurs déficits sont mesurés dans l'espoir qu'ils atteignent la norme.
[9] Sa famille est originaire de Tchécoslovaquie, ses parents l'ont protégé des exigences en justifiant ses difficultés par le changement d'environnement linguistique.
[10] S.Schovanec, Yo pienso diferente, o.c., p..24.
[11] Ibid., p. 25