Alexandre Stevens : Nous avons le plaisir de recevoir Laurent Ottavi, qu’un certain nombre d’entre vous connaissent bien, il est en effet enseignant à l’Université de Rennes 2 et un certain nombre de personnes qui travaillent au Courtil viennent de Rennes 2, parmi les stagiaires mais aussi parmi les intervenants, y compris parmi les cadres d’ailleurs. Donc pour nous Rennes 2, c’est un lieu de formation que nous reconnaissons comme de qualité, puisqu’il se fait que nous sommes amenés à recevoir un certain nombre de personnes que vous avez formées. Laurent Ottavi est aussi membre de l’École de la Cause freudienne. Nous avions convenu qu’il nous parlerait à partir des commentaires que Jacques-Alain Miller fait sur le séminaire de « L’homme aux loups », séminaire que Jacques Lacan a tenu avant le Séminaire I. Avant le séminaire publié comme le Séminaire I, Lacan en fait avait tenu déjà deux années de séminaire, qui ne sont pas reprises dans la série, desquels nous n’avons que des notes, relativement plus partielles. Une des deux années était sur le cas Dora, l’autre sur « L’homme aux loups ». Et sur « L’homme aux loups », on en a les notes, mais seulement des notes partielles, que Jacques-Alain Miller a prises, a publiées, et a fait un certain nombre de commentaires. C’est à partir de ces commentaires de Jacques-Alain Miller que Laurent Ottavi va intervenir, enfin, c’est ce que nous avions convenu. Mais aussi les événements plus récents ont fait qu’il avait l’idée de faire quelques liens, de glisser de façon improvisée, ce qui me semble très bien. Merci beaucoup.
Laurent Ottavi : Merci beaucoup Alexandre Stevens. Alors, je vais le dire tout de suite, je suis impressionné d’intervenir ici parce que mon grand souci depuis ce matin, pas dans le train mais dès en arrivant, c’était de prendre la mesure d’un échange possible et d’un dialogue possible. Je veux dire pourquoi je suis très impressionné, ce n’est pas une politesse de style, ce n'est pas une politesse de rhétorique. C’est que ce lieu, Le Courtil, on en a parlé à l’instant, c’est un lieu qui a une grande valeur : en interne bien sûr, pour vous qui y travaillez, mais à l’extérieur aussi. C’est un signifiant qui traîne, c’est un signifiant qui fait point d’appel, qui fait point d’appel de désir, au fond, de désir de travail. Du concept il en faut, de la rigueur il en faut, mais au nom d’un engagement, d’une orientation dans la pratique. Et c’est à ce titre-là qu’intervenir ici est un peu une gageure pour moi. Parce que, ou bien j’interviens comme membre de l’École et dans le cénacle de l’École etc. mais ce n’est jamais qu’une réunion de gens qui sont engagés dans des pratiques différentes, ou bien j’interviens à l’Université et la caractéristique de l’Université, vous le savez, c’est que l’Université a les mains propres, parce qu’elle n’a pas de main. Mais là ça n'est pas le cas.
Donc, j’avais préparé quelque chose, en effet, à partir de mon angoisse, de pouvoir m’adresser dans un lieu où il y a, vraiment, une tradition du travail, une tradition de l’élaboration, une tradition de se confronter aux textes à partir d’une pratique. J’avais préparé quelque chose mais je me suis dit « ça va être mortellement ennuyeux », parce que de toute façon je ne mesure pas la quantité de travail que vous avez pu effectuer, et je risque de tomber complètement à plat. Alors, je m’en suis ouvert. A tous mes interlocuteurs tout à l’heure, je leur ai dit « Écoutez, ça va être très embêtant, ça va être très ennuyeux, avec votre autorisation peut-être qu’il y aura quelques petits excursus qui seront tentés ».
Alexandre Stevens vient de le dire : pourquoi travailler sur cette question de « L’Homme aux loups » ? Et bien pour un effet de perspective, pour un effet d’histoire, déjà ; c’est-à-dire que lorsqu’on lit attentivement les numéros de la Revue de la Cause freudienne n°72 et n°73, on tombe sur une transcription extrêmement intéressante du séminaire de DEA qu’avait fait Jacques-Alain Miller en 1987-88. Ce n'est pas tout récent ! Et au fond c’est un séminaire par rapport auxquels les propos que Jacques-Alain Miller tient à ce moment-là, déjà, font date pour nous, font jalon, scansion. Dans des préoccupations, je dirais, autour de la clinique, continuiste ou discontinuiste. On a déjà là un effet de convocation par scansion.
Autrement dit, qu’est-ce qu’il disait, en 1987-88 ? Non pas directement sur « L’Homme aux loups », mais sur l’enseignement, la lecture, la construction lacanienne des modes d’élaboration freudiens de « L’Homme aux loups » ? C’est quelque chose de compliqué, parce qu’on est en 2015, et lire un travail, produit – avec quel brio, comme toujours : quand Jacques-Alain Miller produit un travail, on ne peut être que complètement impressionné ! En 87-88, Jacques-Alain Miller souligne qu’au fond, ce qui est analysé dans « L’Homme aux loups » n’est pas synchrone à la cure. Alors que du côté de Dora, ou du côté de « L'Homme aux rats », c’était complètement synchrone.
C’est-à-dire que ce sont les obsessions de l’Homme aux rats, qui sont convoquées dans la construction qu’il en fait comme analysant – et pour Dora aussi c’est l’actualité de sa question qui est convoquée dans la cure analytique. Pour « L’Homme aux loups », c’est une question antérieure, c’est quelque chose qui s’était passé avant. Donc s’intéresser aujourd’hui à la question de ce cas nous met d’entrée de jeu dans une perspective historique, pour faire peut-être apparaître la quantité de déplacements qui est le résultat du travail.