Réussir son bac, obtenir son diplôme, penser au métier que l’on veut exercer, prendre son autonomie, avoir des projets pour son avenir, oui, c’est cela : avoir des projets que diable ! Autant de leitmotivs de bon ton par lesquels tout sujet en devenir adulte se trouve acculé. Mais ces commandements idéaux ignorent que pour certains, les semblants du discours social sont « volatils » et qu’à l’inverse proportionnel, leur existence peut s’en trouver frappée d’une terrible inertie. Comment donc penser son dessein, lorsque la structure-même du projet est « atteinte », que s’y est produite « une fracture », avec tout ce que cela comporte de « trouble de la fonction temporelle » ? Comment avoir « le sens du futur » et se projeter lorsque surgit l’angoisse de l’« abîme temporel » ? Pourtant, notre pratique en institution auprès de jeunes adultes implique aussi de devoir répondre à nombre d’exigences du discours social qui consistent a priori à inciter le sujet à tirer au clair son « projet de vie ». Alors, comment nous y prenons-nous pour injecter dans ces démarches notre préoccupation pour la clinique ? Nous prenons au sérieux les semblants du discours social mais visons à ne jamais en faire de surmoïques signifiants-maîtres à notre pratique, sous lesquels devraient s’aligner les sujets avec qui nous travaillons. Pour y répondre, nous les banalisons, nous nous « hâtons lentement », comme nous le formulons à l’occasion, afin de préserver le temps du sujet qui n’est jamais soluble dans celui des échéanciers administratifs impliqués par la majorité, le passage à l’âge adulte, etc.
Nous verrons ainsi dans ce quinzième numéro de Courtil en ligneS – numéro essentiellement clinique – comment des cliniciens orientés par la psychanalyse sont au travail de permettre au sujet d’inventer une formule proprement singulière qui puisse lui permettre de s’affronter à l’avenir. Pour l’un de ces sujets, il s’agira par exemple de faire de son rapport à la langue un travail sinthomatique et une profession. Pour un autre, il s’agira notamment de desserrer l’énoncé implacable qui colle à son être, faisant de lui un « incapable » et corrompant ainsi à ses yeux tout sens de l’avenir. Un autre consentira, seulement après plusieurs années, à envisager sa sortie de l’institution et son avenir dans un foyer où les cigarettes seraient admises, ce qui n’est pas un détail quelconque, compte-tenu du cas et à considérer que l’objet cigarette puisse y avoir une fonction : celle, désangoissante, de bricoler avec sa « pathologie du projet » en faisant « [tenir] dans la main un morceau de temps » qui « [assure] un pont dans l’abîme temporel que l’on a vu se creuser ».
Le reste, découvrez-le sans tarder dans ce numéro : bonne lecture !
Photo : JR - http://www.jr-art.net/fr
Cf. texte de Thomas Van Rumst dans ce numéro.
Jacques-Alain MILLER, Situations subjectives de déprise sociale, Paris, Navarin, 2009, p. 167.