Feuillets 15 / janvier 1998

L’adolescence, symptôme de la puberté

L’adolescence n’est pas un concept psychanalytique (1). C’est un terme qui n’entre dans le discours qu’au début de ce siècle. C’est en effet relativement récent de considérer qu’il y a une période particulière de la vie à isoler et à distinguer de l’enfance et de l’âge adulte. Cette distinction, sur base supposée biologique, est un terme sociologique, devenu d’usage psychologique. On parle alors de crise d’adolescence au sens global et psychologique du terme. Je pense que ce terme recouvre quelque chose d’extrêmement flou et qu’il est même anti-clinique. Un auteur a ainsi écrit un livre sur l’adolescence et il y défend comme thèse qu’il n’y a pas de structure clinique à l’adolescence, qu’il n’y a qu’une crise. Il est vrai qu’il y a une certaine difficulté à repérer les structures, à repérer les différences symptomatiques, à repérer un authentique déclenchement psychotique par opposition à une brusque déstabilisation hystérique, à l’adolescence. C’est dans la mesure où la difficulté diagnostique est plus grande à l’adolescence parce que la structure est davantage recouverte par un certain nombre de phénomènes que pour un certain nombre d’auteurs le terme de crise d’adolescence vient recouvrir toute la clinique. Je pense personnellement que c’est une erreur et que c’est même à ce type de thèses qu’on peut reconnaître que l’adolescence n’est pas un concept psychanalytique.

Ce n’est pas pour autant que nous ne puissions pas utiliser le terme d’adolescence. Mais le terme de puberté a plus de pertinence dans la clinique. Freud lui donnait d’ailleurs toute sa pertinence assez tôt dans son œuvre, dès ses Trois essais sur la théorie sexuelle en 1905. Ses Trois essais sont constitués de trois grandes parties : les perversions sexuelles, l’observation de la sexualité infantile et la puberté. Pourquoi la puberté vient-elle comme troisième chapitre ? Parce qu’après l’enfance, certains choix sont posés, mais de façon non définitive, et ils sont réactualisés à l’adolescence. Ce sont les choix d’objets, hétéro ou homosexuels et les choix de position quant à la sexuation notamment. Un autre choix qui est peut-être déjà déterminé plus tôt dans l’existence mais qui ne va marquer ses conséquences qu’à l’adolescence, c’est le choix éventuel de la perversion. C’est le choix, dit Freud, d’en rester à une pulsion partielle. Je dirais avec Lacan que ce n’est pas seulement le choix d’en rester au service d’une pulsion partielle, c’est aussi se mettre au service d’une volonté de jouissance, d’un Autre de la jouissance, du Dieu obscur de la jouissance dont Sade décline en partie les noms dans son œuvre. Vous voyez là que le terme de puberté à toute sa pertinence, donné par Freud d’emblée dans son lien à la sexuation, au choix de position et au choix d’objet mais aussi avec ses conséquences sur la structure elle-même avec cette possible orientation vers la perversion.

Lorsque j’ai assisté à une journée de travail sur l’adolescence au Courtil, une intervenante avait donné pour titre à son exposé « L’adolescence, l’âge de tous les possibles ». Pourtant dans son intervention où elle exposait un cas clinique, elle définissait aussi l’adolescence comme étant l’âge de la rencontre avec un impossible. Je pense que ces deux termes, « l’âge de tous les possibles » et « rencontre avec un impossible », sont également justes pour parler de l’adolescence. Que veut dire alors d’une part l’âge de tous les possibles et d’autre part la rencontre avec un impossible ? C’est ce qu’essaye de resserrer mon titre : « L’adolescence, symptôme de la puberté ». Tous les possibles, c’est le versant de la réponse à la rencontre avec un impossible. Que tout soit possible du côté des réponses est sans doute exagéré mais il est vrai que certains possibles sont à ce moment-là ouverts ou rouverts quant au choix de la réponse. C’est d’ailleurs de cette manière qu’il faut comprendre ce que dit Freud dans ses Trois essais : à l’adolescence, le sujet a à refaire ses choix d’objet. Au moment où il entre dans l’adolescence, le sujet en effet ne s’est pas encore tout à fait décidé quant à ses choix d’objet, il sera soit hétéro, soit homosexuel. Le sujet a donc à repasser par ses choix d’objet, même si pour une part ce choix est déjà posé ; il a à décider à ce moment de son choix pour l’existence. Il peut arriver que ces choix posés à l’adolescence soient encore une fois remis en cause ultérieurement à l’âge adulte mais c’est dans la mesure où ils n’ont été posés à l’adolescence que d’une manière extrêmement ambiguë. J’ai actuellement en analyse chez moi un homme adulte qui parle bien en ces termes-là de son choix hétérosexuel qu’il ne reconnaît pas dans son inconscient. Tous ses rêves le poussent au choix homosexuel et quand il rencontre un homme, ce n’est pas sans un certain trouble. Cependant il vit irrégulièrement avec l’une ou l’autre femme et chaque fois que cette femme lui propose de s’engager un peu plus, ou simplement s’ils ont passé un excellent week-end ensemble, il sent aussitôt une nécessité de lui dire la vérité en lui parlant de son immense pulsion homosexuelle, qu’il n’a jamais passée à l’acte d’ailleurs. C’est assez clair, on voit bien là un sujet qui à l’adolescence n’a pas fait de choix clair. Au fond, son choix est de se tenir un peu à l’écart des conséquences de son choix quant au sexe.

Et donc une expression issue de la psychanalyse telle que « Tout se joue avant cinq ans ! » — ce n’est pas une expression lacanienne bien sûr — n’est pas complètement fausse. En effet, le choix du symptôme et l’organisation du fantasme se jouent extrêmement tôt. J’ai eu l’occasion d’observer deux jeunes enfants jumeaux, garçon et fille. À l’âge de quelques mois déjà, certains choix symptomatiques de structure étaient déjà clairement décidés. Quand ils avaient faim par exemple, si la mère ou la personne qui s’occupait d’eux commençait à donner le biberon à la petite fille, le petit garçon continuait à crier d’une façon parfaitement décidée sans s’arrêter. Tandis que lorsqu’on commençait à donner le biberon au garçon, la petite fille s’arrêtait de crier, se retournait dans son lit, devenait totalement indifférente et ensuite refusait le biberon. Voilà deux choix symptomatiques. Chez le petit garçon, on voit un choix assez revendicatif comme peut l’être à l’occasion l’obsessionnel tandis que pour la petite fille, c’est l’indifférence hystérique. Ces choix symptomatiques sont un mode de réponse du sujet à une situation et dans cet exemple on voit qu’ils sont posés très tôt. Ça n’empêche pas qu’ils ont en partie à se reposer, pas seulement à l’adolescence d’ailleurs mais déjà précédemment. L’expression « Tout se joue avant cinq ans » est d’ailleurs un peu vite dite. Prenez le fameux exemple de Jean-Jacques Rousseau, certes du côté de la psychose, mais qui à l’âge de huit ans reçoit une fessée de sa gouvernante. C’est l’épisode de la fessée qu’il décrit de très belle façon dans la première partie de ses Confessions. Cette fessée le laisse dans un grand trouble au point que par la suite il désobéit pour recevoir à nouveau la fessée. La gouvernante le comprend très bien, moyennant quoi ce sera la seule fessée qu’il recevra ! Mais Jean-Jacques Rousseau a cette phrase : « Qui croirait que ce châtiment d’enfant, reçu à huit ans par la main d’une fille de trente, a décidé de mes goûts, de mes désirs, de mes passions, de moi pour le reste de ma vie, et cela précisément dans le sens contraire à ce qui devait s’ensuivre naturellement ? » (2) On sait bien en effet que lorsqu’il fut jeune adulte, il a à plusieurs reprises remis en jeu ce désir de la fessée, tenant lieu de fantasme. Il y a d’ailleurs un épisode d’exhibitionnisme assez particulier où il s’arrange pour montrer ses fesses.

Ce que je veux préciser c’est que ces choix vont devoir se reposer aussi bien du côté du fantasme qui va être mis à l’épreuve de la puberté que du côté du symptôme qui prend des formes variées. Ces choix vont être reposés même si la structure est sans doute déjà décidée : névrose ou psychose ; et même à l’intérieur des névroses, l’obsession ou l’hystérie. Néanmoins les formes comportementales, les formes phénoménales mais aussi le rapport du symptôme au sexe vont se trouver modifiés à la puberté.

Et donc pour être plus précis, il faudrait titrer : « L’adolescence, l’âge d’une grande variété de réponses possibles à cet impossible qu’est le surgissement d’un réel propre de la puberté ». C’est là le choix du titre de mon exposé. On pourrait aussi l’écrire avec un mathème construit à partir d’un mathème que Jacques-Alain Miller avait avancé à son cours il y a deux ans. Dans son mathème, Jacques-Alain Miller proposait le symptôme comme réponse, comme métaphore au non-rapport sexuel, à l’inexistence du rapport sexuel. L’inexistence du rapport sexuel, c’est la difficulté de savoir ce qu’il y a lieu de faire quant au sexe, c’est l’absence d’un savoir constitué à priori là-dessus. A la place de cette absence du rapport sexuel, le sujet élabore un symptôme qui vient alors pour lui comme une réponse possible à ce réel impossible à cerner qu’est cette absence du rapport sexuel. Je propose simplement de reprendre le rapport puberté-adolescence avec le mathème de Jacques-Alain Miller. La puberté serait un des noms de l’inexistence du rapport sexuel. La puberté est en tout cas un des moments où réapparaît pour le sujet plus que jamais le non-rapport sexuel. Et, toujours dans ce mathème, l’adolescence serait alors la réponse symptomatique possible que le sujet va y apporter. C’est l’arrangement particulier avec lequel il organisera son existence, son rapport au monde et son rapport à la jouissance, à la place donc du rapport sexuel.

 

Ce symptôme qui vient se substituer à l’ensemble vide est une curieuse métaphore. La part du symptôme qui pour une part tient au signifiant fait métaphore mais c’est aussi celle qui fait trait d’identification, c’est celle qui permet l’interprétation de la vérité du symptôme. Dans le cas de Dora par exemple, c’est la part signifiante qui permet à Freud d’interpréter sa toux à partir des traits prélevés chez son père, à partir du glissement signifiant Vermögen — mon père est fortuné — en Unvermögen — infortuné mais qui signifie également en allemand « impuissant ». C’est sur ce glissement signifiant que se développe le petit fantasme de coït oral que Dora imagine entre son père et Madame K. et qui provoque chez elle, par identification, ce chatouillement dans la gorge. C’est donc le signifiant du symptôme. Mais à la fin de l’enseignement de Lacan, le symptôme est aussi la mise en œuvre d’un mode de jouissance particulière, connectée à un certain nombre de traits. C’est pour ça que le symptôme à la fin de l’enseignement de Lacan n’est plus considéré comme de structure fondamentalement symbolique, signifiante, ou comme venant à la place du père, mais plutôt comme relevant fondamentalement de la jouissance, comme mode de jouissance d’un sujet. Devant la rencontre d’un impossible, le sujet organise un possible pour lui d’un rapport à la jouissance, c’est son symptôme.

L’adolescence est donc la déclinaison d’une série de choix symptomatique par rapport à cet impossible rencontré à la puberté. Et j’ai écrit là, avec Jacques-Alain Miller, l’impossible par un ensemble vide. Cet impossible est une des formules du réel, cette absence de savoir dans le réel quant au sexe, c’est le non-rapport sexuel. Jacques-Alain Miller définissait le non-rapport sexuel de façon extrêmement simple. Du côté des animaux, quand ils n’ont pas été subvertis par l’homme, il y a l’instinct. Quand un mâle et une femelle se rencontrent, l’instinct leur permet de façon générale de savoir ce qu’il y a lieu de faire face à l’autre sexe. Même si l’on peut décrire là-dessus un certain nombre de variantes. Chez certaines espèces par exemple, on voit certains mâles changer de sexe quand il n’y a plus assez de femelles dans le groupe. Il y a donc là un certain nombre de processus supplémentaires mais ce n’est pas de l’homosexualité, les mâles se transforment en femelles parce qu’il manque de femelles dans le groupe. Pour les animaux, l’instinct c’est donc un savoir dans le réel qui fait qu’il n’y a aucun problème quant au rapport sexuel. Pour l’être humain, ce savoir dans le réel n’existe pas et donc deux humains mâles et femelles ne savent pas trop quoi faire ensemble. Ils le savent parce qu’ils l’apprennent mais ils ne le savent pas à priori. Ils manquent d’un savoir dans le réel sur ce qui complémente les sexes l’un par l’autre, c’est ça le non-rapport sexuel. C’est très bien illustré dans le roman de Daphnis et Chloé écrit par Longus, qui est par ailleurs une référence de Lacan. Daphnis et Chloé sont l’un et l’autre des enfants abandonnés par leurs parents au seuil d’un temple et pris sous la protection des dieux. Ils vont grandir à deux, se connaître très bien et se retrouver tout seuls. C’est très semblable au mythe du bon sauvage de Rousseau. Ils vont tout découvrir seuls sauf une chose, que font ensemble un garçon et une fille : « Daphnis demeura longtemps, gisant de tout son long, ne sachant par quel bout s’y prendre pour faire ce qu’il désirait tant. Il la faisait relever et l’embrassait par derrière, mais il s’en trouvait encore moins satisfait. Il se rassit alors par terre et se mit à pleurer sa sottise de savoir moins que les béliers comment il fallait accomplir les œuvres d’amour. » (3) Il faudra l’intervention de l’Autre sous la forme d’une femme qui passe par-là et qui entraîne Daphnis pour lui expliquer ce qu’il doit faire. Ça passe donc par la parole, ça passe par l’Autre. Ce qui nous intéresse dans la fable, c’est la mise en scène de l’inexistence du savoir dans le réel quant au sexe. Evidemment la fable laisse entendre que pour peu que ça passe par l’Autre, ça peut alors se savoir et il y a alors rapport sexuel. Ce qui évidemment n’est pas vrai dès lors que dans l’Autre il y a au moins du malentendu.

Ce qui vient répondre à cette absence de savoir pour chaque sujet, c’est le symptôme en tant que réponse du sujet à ce trou. Dès lors il me semble que l’on peut dire que l’adolescence est le symptôme de la puberté. Le réel en cause appelons-le pour l’instant puberté, bien qu’il faille le définir plus précisément, ce que je vais m’attacher à faire dans la suite. Lorsque je parle de l’adolescence, il ne s’agit évidemment pas de l’adolescence au sens de la crise d’adolescence ou de l’adolescence comme réponse globale, mais plutôt de l’adolescence comme la série des réponses possibles à ce phénomène. Je reviendrai sur cette série de réponses possibles à la fin de mon texte. Je propose donc la clinique de l’adolescence non pas comme clinique de la crise d’adolescence mais comme clinique du symptôme. C’est une clinique qui n’a rien à voir avec l’adolescence comme problématique dans le champ social, au contraire il s’agit toujours d’une réponse individuelle en tant que choix et réponse d’un sujet tout en tenant compte qu’il y a des différences selon les choix déjà posés par le sujet entre névrose et psychose.

Quel est ce réel de la puberté ?

Premièrement, on pourrait penser que ce réel c’est la montée hormonale, c’est-à-dire ce qui préside biologiquement à la puberté comme telle. Ce serait alors les caractères sexuels secondaires qui poussent, soit les transformations du corps. Ce réel est organique. Il me semble que ce n’est pas faux de le soutenir mais à condition de se poser la question de savoir quel organe est en jeu. Si l’on doit parler là d’organe, il ne suffit pas de le limiter à la poussée des caractères sexuels secondaires. En d’autres termes, je pense que le réel en jeu du côté des transformations du corps, bien qu’il ne soit pas faux de le prendre en considération par ce biais, ne peut se réduire à l’organe au sens médical du terme. Le réel ne se réduit pas à la poussée hormonale. S’il faut parler de surgissement de l’organe, il faut l’entendre tel que par exemple l’on dit d’un homme ou d’une femme qu’il, ou elle, a un bel organe, en parlant de la voix. Il faut entendre cette matérialité de la voix, comme Lacan l’envisage pour l’organe de la libido, en tant qu’organe hors corps. Lacan l’évoque dans le mythe de la lamelle (4). Il met en jeu dans ce mythe l’objet perdu, radicalement perdu et la question de la sexuation et de l’amour. Avec ce mythe de la lamelle, Lacan construit la libido comme organe, dans sa dimension la plus organique possible, mais justement hors-corps, comme ce qui de la jouissance va rester étranger au corps qui se significantise, au corps qui parle. Et donc si nous voulons situer ce réel du côté de l’organique, c’est à condition de le situer dans l’organe de la libido. C’est à condition de le situer comme organe de la jouissance et non pas comme modification anatomique du corps. Celle-ci est une modification imaginaire du corps, c’est-à-dire une modification très réelle de l’image. L’organe dont il s’agit est un organe marqué par le discours et ce réel de la puberté n’est donc pas la poussée hormonale, mais plutôt cet organe marqué par le discours. La preuve en est que la poussée hormonale ne fait pas de problème chez l’animal. On n’a jamais entendu parler de crise d’adolescence chez les veaux lorsqu’ils deviennent progressivement taureaux. Lacan dans la préface de L’éveil du printemps de Wedekind, un des plus beaux textes sur l’adolescence, écrit : « Ainsi un dramaturge aborde en 1891 l’affaire de ce qu’est pour les garçons de faire l’amour avec les filles, marquant qu’ils n’y songeraient pas sans l’éveil de leurs rêves. » (5) Donc ils ne pensent qu’à ça mais, comme le dit Eric Laurent : « C’est en échangeant le récit de leurs rêves qu’ils s’acheminent vers la dialectique de ce que c’est d’être aimé par l’autre... vouloir l’atteindre dans le faire l’amour. » (6) Donc si l’on veut parler d’un réel situé du côté de la transformation de l’organe, du côté de ce qui surgit dans le corps, il faut bien entendre que c’est un réel marqué par le langage, un réel d’un organe marqué par le langage.

Deuxièmement, lorsqu’on parle de montée hormonale, de transformation du corps, il faut bien entendre que dans ce réel, ou que dans cette formule « poussée hormonale », c’est davantage d’irruption, de surgissement qu’il s’agit que d’organe. C’est-à-dire qu’il y a une irruption, un surgissement de quelque chose sur quoi les mots défaillent un moment avant de pouvoir, à partir « de l’échange des rêves », se remettre progressivement. Les mots défaillent à dire ce surgissement. On peut très bien dire aux enfants : « Tu es en train de devenir une femme, etc. », mais au moment du surgissement de la chose, que ce soient les rêves, les transformations du corps, une première érection, cet effet du surgissement qui est réel fait que quels que soient les mots que l’autre lui dit, les mots dont l’enfant devenu pubère disposait jusque-là ne correspondent pas à ce qui lui arrive. Il s’agit moins de transformation que de surgissement de quelque chose de radicalement nouveau. Ce réel, plus que d’être organique, est surgissement d’un nouveau par rapport à quoi le sujet n’a pas de réponse déjà faite. Pour le dire encore autrement, face à ce surgissement, le fantasme du sujet défaille. Je vous reporte à cet égard au texte de M.-J. Sauret dans Préliminaire 6.

Qu’est ce nouveau ? Ce nouveau, plus que l’organe, c’est l’apparition une nouvelle fois pour le sujet de son défaut de savoir dans le réel. Qu’évoque ce concept de réel lacanien ? Chez Lacan, il y a trois références au réel.

Dans le premier temps de son enseignement — à l’époque du schéma R et de la « Question préliminaire [...] » — ce réel c’est le cadre du fantasme comme fenêtre ou comme voile sur l’impossible, sur ce qui est inaccessible pour le sujet, comme fenêtre au-delà de laquelle le sujet risque de rencontrer le réel mais au bord de laquelle le sujet s’arrête grâce à la constitution d’un savoir dans son rapport aux autres. On a un schéma sur lequel se trouve inscrit le réel chez Lacan, c’est le schéma R, le schéma de la constitution subjective. Ce schéma R est le développement du schéma L, qui est le schéma de la discordance du symbolique et de l’imaginaire. C’est cette disparité même que développe le schéma R. Il montre la place du fantasme et du réel au lieu même de cette disjonction. L’accent est porté sur cette discordance entre l’imaginaire et le symbolique par une sorte d’écart opéré entre les identifications symboliques et les identifications imaginaires. A l’adolescence cette discordance entre l’imaginaire et le symbolique défaille, et donc le fantasme défaille. Elle se marque spécialement parce que du côté de l’imaginaire l’image se modifie, les caractères sexuels secondaires marqués par le discours font qu’il n’est plus un enfant comme les autres mais qu’il va devenir un homme ou une femme. Dans ce « va devenir », il y a un certain fracassement de l’imaginaire, il y a un réglage de l’image qui est problématique. Et du côté de l’identification symbolique, l’enfant a à opérer une séparation d’avec la figure de ses parents, d’avec les figures symboliques de ses parents. Il a à moduler autrement ses idéaux que dans la simple identification au père. Ce qui se fait par ancrage sur un certain nombre d’autres traits prélevés sur d’autres personnes. Freud dit d’ailleurs dans Les trois essais que lorsque les adolescents garçons trouvent une figure masculine de poids qui ne soit pas leur père la puberté se déroulera bien car cette figure masculine leur permettra de se séparer de ces figures parentales et de trouver le réglage par le père pour la suite de l’existence. On peut le voir à l’occasion chez ces garçons qui s’accrochent à un professeur solide. Freud considère ce cas de figure comme la meilleure conjoncture. L’ennui dans le monde d’aujourd’hui, c’est qu’on est plutôt dans le plus mauvais des cas. Les professeurs ne sont pas moins bien qu’à l’époque de Freud, mais la déliquescence du lien social, le déclin de la figure paternelle, font que cet ancrage à une figure paternelle est rendu plus fragile. Je reviendrai sur cette question du déclin de la figure paternelle plus loin.

Dans un deuxième temps de l’enseignement de Lacan, spécialement dans le Séminaire, Livre XI, le réel est directement articulé à la question du surgissement. Le réel, c’est la rencontre qui surgit. Lacan y oppose deux modes aristotéliciens de la rencontre : la tuché et l’automaton. L’automaton est le principe de la répétition, ce qui surgit mais que l’on connaît déjà parce que c’est ce qui se répète du fait du signifiant. C’est donc la répétition dans la rencontre. Ce que l’on rencontre le plus souvent dans l’existence sont des rencontres qu’il faut situer du côté de l’automaton, soit du côté de ce que l’on connaît déjà. Cependant, à certains moments, surgit comme s’imposant au sujet une rencontre d’un genre particulier. Une rencontre de quelque chose qu’il ne connaît pas déjà, qu’il n’a pas déjà rencontré. C’est ce qu’Aristote appelle la tuché. Dans son Séminaire, Livre XI, Lacan s’appuie sur cette expérience pour expliquer que ce réel est du domaine de la tuché. Il s’agit de la rencontre comme réel de la rencontre, comme de quelque chose que le sujet n’a pas déjà organisé par son fantasme et son tissu signifiant propre. Ces deux définitions du réel resteront valables dans la suite de l’enseignement de Lacan.

Cependant dans la dernière partie de son enseignement, Lacan donne une définition très précise du réel. Le réel de la fin de son enseignement recouvre les deux autres. Le réel c’est le non-rapport sexuel. C’est ce que Jacques-Alain Miller écrit, dans le mathème que j’évoquais, avec l’ensemble vide. Que veut dire « Il n’y a pas de rapport sexuel » ? Ça veut dire qu’il n’y a pas un rapport au sens mathématique du terme, au sens d’un savoir institué et constitué, déjà présent, sur ce qu’est le rapport entre un homme et une femme. Comment cela se passe-t-il chez l’animal ? Lorsque l’animal se trouve devant l’autre sexe dès la première fois, il sait déjà parfaitement ce qu’il y a à faire. Ça s’appelle l’instinct. Il y a pour les animaux l’instinct avec d’ailleurs ce qu’il implique de complexité, de mise en scène, de rituel. Néanmoins, il y a l’instinct en tant que savoir inscrit pour chacun dans le réel. Lorsqu’il rencontre l’autre sexe, l’animal ne manque pas de savoir. Il sait comment ça marche. Il n’a pas de question, il a un savoir instinctuel sur la copulation. C’est ça qui manque chez l’homme. Il n’y a pas chez l’être parlant de savoir dans le réel. On comprend mieux alors ce qu’est le réel de la puberté. Je propose donc cette définition : le réel de la puberté, c’est l’irruption d’un organe marqué par le discours en l’absence d’un savoir sur le sexe, en l’absence d’un savoir sur ce qu’il peut en faire face à l’autre sexe. C’est alors qu’il reste à chacun à inventer sa propre réponse.

Le réel de la puberté est bien articulable dans ces trois définitions du réel chez Lacan : il est articulable à la disjonction de l’image et de l’identification symbolique accentuée au moment de son traitement à l’adolescence ; deuxièmement, l’enfant pubère est brutalement aux prises avec quelque chose qui surgit, qui n’a pas de nom et qui vient modifier l’image ; et enfin la troisième thèse de Lacan sur le réel comme non-rapport sexuel est bien ce qui fait retour à la puberté.

Nouvelles réponses symptomatiques à la puberté

Je voudrais m’attacher un peu maintenant à la question des réponses comme série de réponses symptomatiques possibles à ce réel de la puberté. Je ne voudrais pas avoir la prétention de vous donner toutes les réponses possibles mais je donnerai plutôt les orientations de ce que peuvent signifier un certain nombre de réponses de l’adolescence à cette irruption dans le réel principalement du côté de la névrose.

Il me semble qu’une série de réponses sont des réponses avec du savoir. C’est un phénomène fréquent à l’adolescence de se mettre à l’étude. C’est à ce moment-là que se décident à l’occasion de grandes vocations. Ces sujets vont rester étudiants toute leur vie, seront toute leur vie passionnés par la recherche. Ce choix peut déjà se voir pour certains dans l’enfance mais il doit se reposer à l’adolescence même s’il peut encore se reformuler par la suite. C’est le choix d’une position quant au savoir, quant aux significations du monde comme un mode de substitution de ce savoir sur le monde à la place de ce savoir qui manque sur le sexe. C’est un mode plutôt favorable du traitement de la puberté. C’est une réponse positive par rapport au savoir et il y a évidemment aussi une réponse négative. Ce sont par exemple des enfants qui peuvent avoir bien travaillé à l’école jusqu’à la puberté et qui ensuite ne font plus rien d’autre que de sortir et de voir leurs copains. Ce n’est pas qu’ils n’aient alors plus le temps d’étudier mais c’est que le savoir est totalement dévalorisé pour eux. Ils ont fait le choix d’évacuer le savoir puisqu’il ne vaudra pas à répondre à la seule question réellement posée.

On peut situer une autre série de réponses en rapport aux identifications. Il s’agit alors pour le sujet d’inventer des identifications imaginaires ou symboliques. C’est le fondement des bandes d’adolescents. Ces formes de traitement de la jouissance indiquent que le réel en jeu n’est pas seulement quelque chose de l’ordre du corps mais est également de l’ordre de la séparation d’avec l’Autre. Le réel à traiter s’articule d’emblée dans le lien à l’autre, au désir de l’autre sexe.

Je situerai une troisième série de réponses dans le rapport au fantasme qui défaille. Le sujet qui a déjà construit un fantasme dans son enfance rencontre le fait que ce fantasme confronté aux nouveaux enjeux du sexe n’opère plus de façon correcte. C’est ce qu’on peut appeler la défaillance du fantasme. Les passages à l’acte sont une réponse classique au fantasme qui défaille. Lacan dans son Séminaire « L’angoisse » montre bien dans un tableau qui reprend inhibition, symptôme et angoisse que le grand barrage à l’angoisse c’est le symptôme. Lorsque le symptôme défaille, c’est le cas lorsque surgit un réel, on trouve l’acting-out ou le passage à l’acte selon les cas. Ils servent de derniers barrages à l’angoisse. On a alors le suicide contre l’angoisse, comme sortie de la scène pour éviter l’angoisse. Cette thématique est très présente dans L’éveil du printemps. Au-delà de la question de la rencontre du sexe, dans ce surgissement justement d’un réel, surgit pour les adolescents qui sont là mis en scène une question extrêmement vive qui pousse à l’angoisse. Elle mènera au suicide d’un des adolescents de la pièce et à la question, pour un autre, de savoir s’il va le suivre ou non. C’est alors que surgit la figure de l’Homme masqué, qui est une figure du Nom-du-Père, dit Lacan. C’est une de ces figures de ce que j’ai appelé plus haut un père de substitution solide comme on peut en rencontrer à l’adolescence sous la forme d’un professeur et qui sert de symptôme. C’est le père comme symptôme.

Le père comme symptôme est une des réponses possibles. Mais il y a dans nos sociétés aujourd’hui de plus en plus de difficultés à répondre avec le père, à trouver cette réponse avec le père, dans la mesure où il y a un déclin de la fonction paternelle. Ce déclin a toujours été observé au cas par cas. C’est notamment le cas du petit Hans de Freud. Lacan dans le Séminaire, Livre IV, l’analyse comme un cas de conséquence du déclin de la fonction paternelle. Le père, bien qu’installé correctement dans le symbolique, n’a pas été à la hauteur de représenter pour son fils une exception. On en a un témoignage extraordinaire quand Hans demande à son père s’il va avoir un petit frère. Son père répond : « Si Dieu le veut. » Hans va ensuite poser la même question à sa mère qui répond : « Si je le veux. » A quoi il conclut : « C’est maman qui décide pour Dieu. » C’est quand même ce qu’on peut appeler un déclin de la fonction paternelle, ce n’est pas le père qui assume la position d’exception. La conséquence chez Hans au niveau de son choix symptomatique, c’est d’abord sa phobie. Mais Lacan montre très bien aussi dans le dernier chapitre du Séminaire IV qu’une fois sa phobie guérie, la réponse de Hans sera un déclin de la virilité. Il le met en opposition à Don Juan. Hans sera un homme qui attendra que les avances viennent de l’autre côté.

Mais aujourd’hui c’est au-delà du cas par cas clinique. C’est un phénomène de structure, dans notre société, consécutif des effets de développement de la science et de l’universalisation de la culture. On trouve autant d’images que l’on veut aujourd’hui de ce déclin de la paternité, et il est même très difficile de trouver un élément qui va à l’opposé. Prenons simplement l’exemple du président des Etats-Unis, Clinton. C’est un homme politique qui a les yeux vissés sur les sondages et au fond toute la question n’est pas d’être l’exception — position par exemple d’un de Gaulle qui décide que c’est comme ça dans une situation où tout le monde est contre — mais d’orienter un peu les choses tout en restant dans la majorité. Ça donne un mode de gouvernement qui n’est absolument pas le même qu’un mode de gouvernement par l’exception. Je ne dis pas que c’est moins bien mais c’est ça le déclin de la fonction paternelle et il faudra s’y faire. D’ailleurs, dans les affaires juridiques qui arrivent à Clinton, il y a une exception paradoxale puisqu’il est le premier président des Etats-Unis cité à comparaître en justice pendant sa présidence, accusé d’un acte qu’il a commis. C’est toutefois une exception toute relative. Il fait effectivement exception par rapport à la série des présidents précédents mais c’est une exception qui dit : « Il est comme tout le monde, il n’y a plus d’exception. » C’est un bénéfice pour la démocratie, mais c’est aussi le nom même du déclin de la fonction paternelle.

Ça ne veut pas dire que l’exception ne va plus exister nulle part. Mais il faut bien voir où elle peut exister encore. Aujourd’hui, l’exception peut exister dans la série des Uns qui sont assez vite remplacés, fonction de la démocratie. Mais on voit bien qu’au niveau des chefs d’Etats, c’est quelque chose d’extrêmement fragile. Prenez un homme politique comme Jacques Chirac qui dans une interview parlait du chômage en soulignant son aspect dramatique tout en disant que ça ne dépendait pas des hommes politiques mais bien du capitalisme international, de la conjoncture, de ce qui se passe dans le monde... Il vient dire aux Français dans cette interview qu’il n’a rien à dire, qu’il ne peut rien faire contre le chômage. Il a raison, il n’a rien à dire, mais le suivant n’aura rien à dire non plus (7).

Où peut-on encore trouver alors la place de l’exception ? On peut encore la trouver dans l’acte d’énonciation et il y a là quelque chose qui n’est pas identique à l’acte de l’homme d’Etat. C’est en tout cas quelque chose à quoi nous devons être attentifs. Lorsqu’il y a une énonciation, c’est-à-dire une invention particulière, est-ce que nous sommes prêts à la reconnaître ? C’est le seul endroit où nous pouvons encore trouver la dimension de l’exception.

Ce « tous pareils » dû au déclin de la fonction paternelle qui gomme l’exception provoque aussi un effet de ségrégation ravageant. Cet effet ravageant s’accentue encore avec les difficultés économiques d’aujourd’hui, le chômage, etc. On voit alors dans les banlieues un certain nombre de phénomènes de l’ordre de ce malaise de la ségrégation. Aujourd’hui l’adolescence rime pour une part avec la ségrégation. Lors d’une récente journée du CIEN, des personnes qui travaillent avec des jeunes de la banlieue de Bordeaux ont rendu compte de l’organisation de contre-cultures fondées sur certaines références africaines et américaines. Ce qui est intéressant dans ces contre-cultures, c’est de constater comment il s’agit d’un « contre ». Il y a notamment la référence à un bout de culture africaine qui est ramenée dans l’organisation de bandes avec des chefs, des lieutenants, etc. En même temps, on trouve toujours dans les signifiants prélevés, dans les images prélevées, une certaine référence à l’Amérique (8). On a là l’organisation de substituts symptomatiques sociaux à l’adolescence qui se conjoint à l’effet ségrégatif de la société capitaliste d’aujourd’hui dans cette promotion du « tous pareils ». Il y a encore d’autres effets de l’ordre de la violence dans les banlieues notamment mais aussi dans certains quartiers chauds des grandes villes. On pourrait sans doute dire plus de choses sur la violence que je ne vais le faire ici mais il me semble que cette violence est à la fois l’effet direct du déclin de la paternité et est en même temps le refus de répondre à ce déclin de la paternité par un déclin de la virilité. C’est le refus du côté du « tous pareils et que surtout rien ne dépasse ».

Un autre mode de réponse comme l’intégrisme peut probablement se lire également comme une tentative désespérée de réinstaller du père. Ce n’est certainement pas un effet du discours religieux. L’intégrisme et la religion sont deux choses différentes. Comme les sectes, l’intégrisme est un effet particulier du monde d’aujourd’hui. On sait bien que dans la religion, il s’agit d’une tentative d’installer du père symbolique. Aujourd’hui il n’y a pas de retour du religieux dans notre monde. Il y a par contre une dérive vers les sectes ou vers l’intégrisme. Le religieux vise un père symbolique de la loi tandis que dans l’intégrisme et dans les sectes, l’enjeu est le père jouisseur, celui de tous les excès fussent-ils même commis au nom de la loi.

Je voulais ajouter encore deux autres types de réponses. Ce sont les réponses du côté de l’oral, de la demande d’amour. C’est le choix régressif de l’anorexie et de la boulimie. Ce sont des réponses fréquentes à l’adolescence parce qu’elles permettent en même temps un certain rejet de la sexuation. En tout cas celle-ci est remise à plus tard. On voit d’ailleurs dans l’anorexie « classique » des jeunes filles que ces sujets vont jusqu’à la disparition des règles et de l’élimination des formes du corps féminin. C’est la même chose pour la boulimie où la transformation du corps en image de femme est voilée par l’effet de la demande orale.

Je terminerai par le choix de la jouissance hors-sexe, qui ne s’embarrasse pas des problèmes de la sexuation, comme un dernier mode de réponse au réel de la puberté. C’est le cas notamment de la réponse toxicomaniaque. Je ne généraliserai toutefois pas la toxicomanie parce qu’elle a une fonction différente chez un certain nombre de sujets différents. Dans la psychose, dont je ne vous parlerai pas ici, la toxicomanie a souvent une fonction de couverture. Le sujet a eu quelques hallucinations et avec des toxiques, il a beaucoup d’hallucinations. Quand on interroge ces sujets et qu’ils sont intelligents et un peu fins, ils peuvent très bien faire la différence entre les deux sortes d’hallucinations mais il n’empêche qu’ils ont une explication un peu globale de ce qui leur arrive : « C’est à cause du produit » et pour tout le monde, les étrangetés qu’ils vivent sont dues au produit. C’est ce que j’appellerais la fonction de couverture du délire et des phénomènes psychotiques par le toxique. C’est la raison pour laquelle personnellement malgré les choix politiques de notre pays, je considère qu’il n’y a pas à chercher à guérir tous les toxicomanes, à chercher à leur interdire de prendre des drogues. Il y a des psychotiques qui peuvent être ravagés par l’arrêt. Le problème est plutôt dans ce cas de voir comment ça peut se stabiliser un peu calmement.

Du côté de la névrose, la toxicomanie est évidemment un choix de jouissance hors-sexe même si un certain nombre d’adolescents peuvent dire qu’ils ont commencé à s’intoxiquer ainsi pour avoir plus facile à aborder les filles. Même si à l’occasion certains peuvent à la fois avoir des relations sexuelles et s’intoxiquer, où on voit bien que le toxique vient comme lien pour découvrir l’autre. Le toxique dans ce cas joue la couverture du sexe. Fondamentalement la jouissance toxicomaniaque est hors-sexe. C’est un symptôme assez solide parce qu’en plus il donne une identification : « Je suis toxicomane. » Il cède d’autant moins facilement qu’il y a une jouissance hors-sexe — on n’a plus besoin des rapports à l’autre sexe — qu’il y a une identification et qu’en plus de tout ça, il y a le phénomène d’exclusion du lien social qui ne facilitera certainement pas par la suite la possibilité de retrouver la question posée au sujet avant de trouver une autre réponse. Si l’on veut traiter le toxicomane, ce n’est certainement pas de façon globale, c’est au cas par cas, en examinant comment et à quel moment pour lui ou pour elle cette réponse toxicomaniaque est venue en lieu de jouissance et comment à un autre moment il pourrait peut-être faire un autre choix par rapport à ça.

 

NOTES

(1) Ceci est le texte d’une conférence donnée à l’Université de Paris VIII en janvier 1998 ; il est établi par Isabelle Finkel.

(2) J.-J. Rousseau, Les Confessions, Paris, Gallimard, collection Folio, 1973, p. 45.

(3) Longus, Daphnis et Chloé, Paris, Seuil, L’école des lettres, 1994, pp. 107-108.

(4) J. Lacan, « Position de l’inconscient » (1964), Ecrits, Paris, Seuil, 1966, p. 845.

(5) J. Lacan, in F. Wedekind, L’éveil du printemps, Paris, Gallimard, 1974, p. 9.

(6) E. Laurent cité par L. Naveau, in « L’adolescent au seuil du XXIème siècle », L’envers de Paris, 14, janvier 1998, p. VIII.

(7) Ceci vient d’une remarque de Jacques-Alain Miller à son cours.

(8) C’est une remarque d’Eric Laurent à cette même journée du CIEN.