Feuillets 32 / décembre 2010

Clinique du hors-sens - Conversation avec Eric Laurent

Le douze septembre 2009, nous avons accueilli Éric Laurent au Courtil. C’était à l’occasion de notre Journée de rentrée qui, chaque année, fait place à un débat clinique à partir d'une série de présentations de cas.

À vingt-cinq ans d’intervalle, la présence d’Éric Laurent au Courtil marque le chemin parcouru d’un lieu d’accueil et de traitement fondé par Alexandre Stevens en 1983 sur les fondements de l’enseignement de Jacques Lacan. Lors de sa première venue en 1985, nous en étions à dégager la clinique différentielle névrose/psychose et à saisir en quoi tel enfant relevait d’une clinique de la forclusion du Nom-du-Père, tout en cherchant à en déduire les conséquences pour le Works In Progress de l’orientation lacanienne au Courtil.

Inventer une institution pour chaque enfant fut la formule qui consacra une pratique du un par un, de la subjectivation et de l’aménagement de dispositifs qui permettent à chacun de suivre la voie de son symptôme. Restait l’impasse de la communauté, du « vivre ensemble » comme dit le politiquement correct contemporain.

Nous étions déjà alertés par Éric Laurent quant aux utopies communautaires 1, sirènes qui ne nous ont jamais séduits, mais qui aujourd’hui n’en laissent pas moins le problème à reprendre à nouveaux frais. Cette communauté a été depuis baptisée par Jacques-Alain Miller « pratique à plusieurs », non point pour encourager à se coltiner ensemble la misère du monde, mais pour toucher à l’horizon du discours analytique qui interrogerait « ce que serait la rencontre avec un sujet en dehors des procédures de ritualisation qui portent le nom de discours »2, comme le note Éric Laurent dans l’introduction à la Journée.

Ce que l’on retiendra avant tout de cette journée de conversation, c’est l’accent mis par Éric Laurent sur la lettre plutôt que sur la catégorie du hors-sens. L’insistance mise sur la lettre dans son extension maximale, comme signe à lire que nous impose la clinique, accompagne une reconsidération de l’usage du hors-sens. Ainsi la lettre ne relève pas comme telle du signifi ant, mais implique le corps comme trace de jouissance. C’est un oui au sens, mais sans laisser de côté qu’il est joui-sens, sens joui. Éric Laurent nous invite ainsi à suivre le fil de la joui-sens de façon à y repérer, voire à y provoquer, les scansions qui peuvent constituer une trame subjective comme telle et ainsi ramener le sujet à un certain lien à la communauté.


1 LAURENT Éric, « Institution du fantasme, fantasme de l’institution », Les Feuillets du Courtil, N°4, avril 1992.

2 Éric LAURENT, dans ce même numéro.