Autisme, evidence based practices et psychanalyse - Un entretien avec le Professeur Dr I. Devisch

Le Conseil Supérieur de la Santé a publié en novembre 2013 un rapport concernant « La qualité de vie des jeunes enfants autistes et de leur famille ».¹ Dans ce rapport, cet organe d’avis scientifique des autorités fédérales a cartographié les offres de soins existantes et commenté les interventions qui devraient être recommandées à l’avenir.

Durant la phase préparatoire de ce rapport aucun psychanalyste ne fut consulté par le css. Or, c’est justement la psychanalyse qui s’intéresse depuis des décennies à la clinique de l’autisme. De plus, aucune référence psychanalytique n’a été reprise dans la bibliographie du rapport final, malgré la longue liste de publications que la psychanalyse a consacré à l’autisme. La psychanalyse pouvait néanmoins y figurer une seule fois, dans la liste des « interventions non consensuelles ». Selon le css, on ne pouvait conclure à la « pertinence des interventions fondées sur la psychanalyse » par « l’absence de données sur leur efficacité » et par « la divergence des avis exprimés ».²

Lorsqu’une telle instance, supposée travailler de manière indépendante, conseille unilatéralement les interventions cognitivo-comportementales et rejette sciemment l’approche psychanalytique, alors la psychanalyse est obligée de passer à l’action. 

C’est pourquoi l’acf-Belgique et le Kring voor Psychoanalyse ont organisé en mai 2014 un forum qui se fit l’écho de tous ceux qu’on interdisait de parole : les cliniciens qui travaillent avec des enfants autistes en se basant sur la psychanalyse, des universitaires qui faisaient la critique de la méthodologie des pratiques « evidence based » pour évaluer les pratiques au sein du champ de la santé mentale, et last but not least, des parents qui confient leurs enfants à la psychanalyse.³ Le texte qui annonçait le forum et en soulignait la nécessité fut signé par plus de soixante associations et institutions.⁴ Au terme de ce forum, les interventions des orateurs ont été rassemblées dans le magazine Le Forum des psychanalystes qui a été propagé parmi les politiciens, les intellectuels et les experts du Conseil Supérieur de la Santé.⁵

A la mi-juin, à la veille de la journée d’étude que le Conseil Supérieur de la Santé consacrait à la présentation de son Rapport, j’ai rencontré Ignaas Devisch qui avait dû inopinément annuler son intervention au Forum.

Ignaas Devisch est professeur d’éthique, de philosophie et de philosophie médicale à l’Université de Gand et à l’École supérieure Artevelde. En vue de son livre Ziek van gezondheid. Voor elk probleem een pil ? (Malade de la santé. Une pilule pour chaque problème ?), paru en 2013, il a récolté une série d’avis critiques, issus chacun de leur domaine (médecine, psychologie, sociologie) et qui soulignaient la médicalisation de notre société. Depuis mars 2014 il fait partie du Conseil Supérieur de la Santé, la rédaction du Rapport à propos des enfants autistes date donc d’avant sa nomination.

Nathalie Laceur⁶

Traduction Monique de Buck