23 / LE CADRE ET LE BORD / juin 2018

Journée de rentrée - Le cadre et le bord

À l’heure où les symptômes sont là par erreur et ne concernent en rien le sujet, à l’heure où ces symptômes sont réduits à des comportements qu’il faut cibler, circonscrire et éradiquer d’un coup de protocole, la question du cadre et du bord est fondamentale.

Dans son projet de loi visant à réguler la psychologie clinique et la psychothérapie, notre ministre de la santé s’est donnée pour mission principale de remettre du cadre en Belgique. Les recommandations des bonnes pratiques amputées des signifiants primordiaux du sujet affluent au nom d’une loi-artefact laissant de côté toute notion de transfert. À vrai dire, le cadre que défend la sphère politique s’apparente bien moins à une loi qu’à une règle telle que la définit Jacques-Alain Miller, à savoir « un algorithme qui fonctionne à l’aveugle1 ». Le texte d’Élise Lebourg nous donne une belle illustration de ce que la règle dépourvue de la loi peut avoir comme conséquence sur un sujet psychotique.

De toute évidence, le cadre duquel nous nous soutenons en psychanalyse lacanienne relève d’un tout autre registre. Il ne s’agit pas d’une frontière étanche qui laisse à sa porte un sujet désarrimé. Il s’agit plutôt de repères symboliques qui permettent au petit être de se construire comme sujet. Le cadre qui nous sert de boussole s’oriente du Nom-du-Père, comme instrument d’interdiction et de permission. L’interdiction portée par le père sur la mère est nécessaire mais c’est bel et bien le troisième temps de l’Œdipe, avec ce qu’il offre de don et de permission à l’enfant, qui sera fondamental. Un « oui » prometteur de nouveau. La jouissance, ayant été refusée dans le réel, passera dans les dessous2 pour ouvrir la voie du désir. Elaine Collard utilise une jolie formule pour illustrer ce temps, toujours à refaire dans la psychose : « Que le non ne soit pas dépourvu d’un oui ».

Notre cadre viserait donc plutôt à « exiler3 » la jouissance via le symptôme pendant que les protocoles exileront le sujet trop accroché à sa jouissance. Et c’est précisément ces sujets qui frappent à nos portes : ceux dont le symptôme n’a pas pu légaliser la jouissance4 et permettre ainsi qu’un lien social soit possible. Vous découvrirez tout au long de ce numéro la place que prend le transfert dans l’articulation du cadre et du bord. Un transfert sans doute moins du côté du sujet supposé savoir que de l’objet. C’est ce que nous montre Tony quand il se raccroche in extremis au filet de voix de Ludivine Vanderstichel.

En effet, dans les cas où le Nom-du-Père n’a pas pu garantir un cadre phallique, le sujet se retrouve aux prises avec un réel innommable, une signification qui se déchaîne et une jouissance qui l’envahit. Le sujet autiste « immergé dans le Réel5 » selon l’expression d’Éric Laurent, souffre d’une forclusion du trou qui peut le pousser à se mutiler pour évacuer ce trop de jouissance. Il s’agit donc de créer un bord pour faire exister le trou tout en le délimitant. C’est la fonction du néo-bord du sujet autiste, « cette limite quasi corporelle qui se constitue en un espace qui n’est ni du sujet ni de l’Autre où il peut y avoir des échanges d’un type nouveau articulés à un Autre moins menaçant.6 » C’est précisément ce que nous ont témoigné lors de la première journée du CERA, les parents et les professionnels partageant le quotidien de ces enfants.

La clinique du bord, au-delà du paradigme de l’autisme, répond à la question de l’accueil de cette jouissance débordante. Ce littoral crée un espace, ce que Lacan nomme « la chance inventive7 » pour que le sujet puisse y faire l’effort de traduire sa jouissance et ainsi tenter d’entrer dans le lien social. Plutôt que d’exclure les sujets aux prises avec leur souffrance de l’autre côté de la frontière, la position de la psychanalyse vise plutôt à prendre cette jouissance à bras le corps « en recourant à un Nom-du-Père non standard […] qui prendra en charge la nomination de cette jouissance8 » via l’objet, la lettre, l’écriture ou encore le savoir. Il ne s’agit donc pas « d’être le gardien de la réalité sociale » mais bien de pouvoir « manier une contre-violence symbolique9 ».

 


1 Miller J.-A., …du nouveau !, Paris, Rue Huysmans Collection, éditée par l’ECF, 2000, p. 51.

2 Miller J.-A, « Enfants violents », Intervention de clôture de la 4ème journée de l’Institut psychanalytique de l’Enfant, Paris, le 18 mars 2017, Après l'enfance, Collection La petite Girafe, Navarin éditeur, n°4, 2017, p. 198.

3 Ibid.

4 Ibid.

5 Laurent É., La bataille de l’autisme, Paris, Navarin, 2012, p 67.

6 Ibid., p. 69.

7 Lacan J., « Le discours aux catholiques », Le triomphe de la religion, Paris, Seuil, 2004, p 21.

8 Laurent É., « Les traitements psychanalytiques des psychoses », Les Feuillets du Courtil, n°21, 2003, p. 13.

9 Miller J.-A, « Enfants violents », op. cit. p. 207.

 

Crédit photo : Streuwerk