Le Corbusier, l’homme à construire, Du projet à la nomination (deuxième partie)
Le Parthénon, cadavre exquis
Jeanneret tombe malade – et il quitte l’Athos en évoquant « le vague enivrement de sentir l’espace s’écrouler, se franchir »1. Sentiment d’absolue plénitude – mais dont le revers est quelques jours plus tard la présentification du cadavre, devant le Parthénon sur l’Acropole d’Athènes. Devenu Le Corbusier, il reviendra sans cesse sur ces semaines passées à tenter de percer le secret du site, magnifiant l’expérience et lui donnant caractère initiatique. Mais sur le coup, c’est d’un « ébranlement extrême » dont il témoigne. Il passe des jours, « entre rêve et cauchemar », à étudier les colonnes entières « couchées, jetées bas comme un homme qui reçoit de la poudre en plein visage », « leurs tambours échelonnés, tels les anneaux d’une chaîne rompue »2, à tenter de reconstituer le plan. C’est le spectacle en miroir de son propre corps qui semble se présenter là, dans cette architecture en morceaux.
La vue d’une procession mortuaire dans les rues d’Athènes marquera le tournant de son voyage. « J’ai vu dans la rue porter des morts, le visage à l’air, couvert de mouche, vert », note t-il, avant de décrire la musique du sexuel qui l’envahit au milieu des ruines : « Voilà que me reprend cette sale musique des bouibouis, bordels et autres moulins rouges, où j’ai toujours crevoté d’être seul. Ça me foutait l’âme de travers et me faisait voir bleu comme de l’acier. (...) En plein milieu du Parthénon, le premier coup d’œil sur ce monstre qui me fait peur ! C’est à chaque heure plus mort, là-haut. Le grand coup a été le premier. Admiration, adoration, puis écrasement ; ça fuit, ça m’échappe, je glisse devant les colonnes et l’entablement cruel. Je n’aime plus y aller. Quand je vois ça de loin, c’est comme un cadavre. De près, fini l’attendrissement, mais définitif l’écrasement. C’est de l’art fatal auquel on n’échappe pas. C’est glacial comme une vérité immense, et inchangeable. »3
1 LE CORBUSIER, Le voyage en Orient, Ed. Les forces vives, 1966, Meaux, p. 151.
2 Ibid., p. 165.
3 LE CORBUSIER, Voyage d’Orient – carnets, carnet 3 (septembre 1911), Electa moniteur/FLC, Paris, 1987, p. 120-121.
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