26/ INTERPRÈTES DE L'INCLUSION / décembre 2021

Interprètes de l'inclusion

        L’inclusion, en tant que signifiant, s’est imposée depuis une quarantaine d’années dans un mouvement mondial. Ce signifiant a pris place de manière durable dans notre paysage, dans notre langue et dans nos projets d’établissements. 

        En Belgique, par exemple, le droit à l’inclusion a été tout récemment inscrit dans la Constitution. Le Comité européen des droits sociaux a quant à lui condamné le pays pour « manque d’efforts consentis à l’inclusion scolaire des élèves en situation de handicap intellectuel ». On trouve donc d’un côté une forte volonté d’inscrire ce signifiant dans le discours, et d’un autre côté une difficulté pour le traduire en acte. Peut-être s’agit-il d’une difficulté à en saisir le sens, autrement dit à l’interpréter. 

        Dans son ouvrage La société inclusive, parlons-en l’anthropologue Charles Gardou, nous invite à considérer la complexité de ce concept. Sa diffusion, « ample et rapide », selon sa formule, nous mène à nous demander s’il est le signe d’une véritable évolution sociétale ou bien un simple « écran de fumée rhétorique ». 1

        La question mérite d’être posée car un certain malaise se fait jour quand l’inclusion prend la forme d’une injonction non interrogeable et que la réponse politique consiste en un plus de rhétorique inclusive, plus de recommandations techniques et moins de moyens humains. 2

 

        Ce signifiant vient donc faire vaciller les dispositifs existants — services résidentiels pour jeunes, établissements d’enseignement spécialisé, dispositifs d’intégration – et le lien social qui s’y est construit dans le temps et avec l’expérience des acteurs de terrain.

 

Ce malaise a encore une fois été ravivé par un très récent rapport du Comité des droits des personnes handicapés de l’ONU à propos de la situation française. La rapporteuse appelle instamment à « la fermeture des établissements médico-sociaux existants ». 3

        Les jeunes pour lesquels nous recevons des demandes d’accueil en institution, où seraient-ils donc accueillis ? Précisément dans les lieux dits ordinaires, comme les établissements scolaires qui sont, comme nous le rappelle Dominique Gillet-Cazeneuve dans ce numéro, encore très loin de proposer une forme d’accueil qui assouplit la norme. 

        Mais justement arrêtons-nous un peu pour lire ce signifiant qui revêt, depuis quelques années, un sens nouveau. Nous trouvons dans la large littérature qui traite de la question quatre termes qui se combinent. 

Il y a l’intégration, qui est considérée comme l’ancêtre de l’inclusion, où l’on demande au sujet de s’adapter aux codes de l’Autre.

L’exclusion, où le sujet est rejeté hors du champ de l’Autre. On peut souligner que c’est l’exclusion des lieux normés qui a fondé nos institutions. On peut rappeler à ce titre la statistique des âges types auxquels les jeunes personnes sont adressées dans nos institutions : trois ans, sept ans, douze ans. Des âges charnières dans les dispositifs scolaires, moments où la norme se déplace quant à ce qui est exigé d’un sujet.

La ségrégation, où l’on construit du même pour rassembler autant que séparer.

Et enfin l’inclusion, où l’on réclame que l’Autre de la norme s’adapte au sujet. C’est dans cette perspective que nous sommes passés au paradigme de la « situation de handicap », ce qui indique que les politiques sociales ont fait le choix, dans le discours au moins, de prendre leur part de responsabilité.

        Actuellement, lorsque la dimension d’inclusion ou d’inclusif est évoquée, c’est à cette nouvelle définition que cela renvoie. C’est un déplacement récent par rapport à la définition première du mot. Inclusion étymologiquement - même s’il y a selon les domaines différentes définitions (chimie, métallurgie, mathématique) – fait plus référence à la notion d’enfermement. Lors d’une récente journée d’étude à Bordeaux, un collègue, Gilles Mouillac, relevait qu’il serait d’avantage dans notre orientation de viser l’éclosion, l’ouverture, que l’inclusion. 

Mais si nous revenons à cette nouvelle définition, le fait que l’inclusion signifie d’adapter l’Autre de la norme au sujet dans sa singularité, l’on peut tout de suite repérer que c’est une formulation déjà très en phase avec la manière dont nous accueillons des sujets en institution. Notre orientation de travail s’est constituée, au Courtil notamment, en tentant de fabriquer « une institution différente pour chaque sujet », selon la formule de son fondateur, Alexandre Stevens.

        Comment se fait-il alors que la rhétorique qui accompagne ce signifiant et les applications politiques qui en découlent nous apparaissent tant travailler contre notre manière de soutenir les élaborations et les chemins singuliers qu’entreprennent les jeunes sujets que nous accompagnons ? Comment se fait-il que nos institutions et les établissements d’enseignements spécialisés se retrouvent désormais taxés d’être des lieux ségrégatifs alors qu’ils sont le plus à même d’adapter leurs modalités d’accueil à la diversité ? L’accès à une instruction particularisée et de qualité, ainsi qu’à un lien social qui prend en compte la spécificité de chacun se réduit-il à la simple inscription dans un établissement scolaire ordinaire ? L’idéal inclusif est-il d’ailleurs possible sans transformer l’école en profondeur ? Si l’inclusion c’est faire place à la diversité, n’est-il pas plus pertinent de considérer comme des lieux inclusifs les institutions qui font place à la singularité ? S’il semble évident que le désir d’inclusion est ancré dans un terreau humaniste, il porte dans l’interprétation qui en est faite des points de tension qui nous forcent à complexifier notre façon de l’entendre. 

        Par exemple, l’un des principaux éléments de la nouvelle éducation dite inclusive est ce qu’on appelle les « besoins éducatifs particuliers ». Or, considérer la dimension de l’éveil du savoir par le prisme du besoin est tout à fait discutable. Comme le formule Magdalena Kohout Diaz cela mène souvent l’enfant « à être parlé plutôt qu’à parler lui-même. » 4 L’exigence de caractériser les dits besoins mène, on le constate, à une inflation et un surinvestissement des étiquettes diagnostiques, il se produit alors une forme de médicalisation de l’éducation. Les protocoles associés à l’usage de ces étiquettes diagnostiques ont pour effet de dessaisir les acteurs de terrain - enseignants, parents, éducateurs - de leur expérience réelle et de leur savoir-faire quant à l’accueil de la singularité. Il s’opère une réduction de notre capacité d’inventer des parcours sur mesure.

Interprètes de l’inclusion. Nous avons choisi pour cette journée d’étude, et pour ce numéro qui vient à sa suite, d’associer ces deux signifiants comme une première interprétation. Inclusion, car nous faisons de ce signifiant l’un des nôtres. Interprètes, au pluriel et dans toute sa polysémie, car il s’agit ici autant d’élucider, de traduire, mais surtout, d’entendre la variété des rencontres et des modes de présences « en acte » qui se trouvent dans nos institutions et leurs bords.


1. Gardou, Charles, La société inclusive, parlons-en !, il n’y a pas de vie minuscule, 2012, Érès, Toulouse

2. https://plus.lesoir.be/367376/article/2021-04-21/reforme-de-lenseignement-vers-une-ecole-inclusive-qui-exclut

3.  https://www.ohchr.org/FR/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=22245&LangID=F / 

https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G19/002/70/PDF/G1900270.pdf

4. Kohout-Diaz, Magdalena, L’éducation inclusive, Un processus en cours, 2018, Érès, Toulouse 

 

© image réalisée pour la journée de rentrée par Inès Rousset et Simon Burger