Surfaces d'inscription
« Sur les écrans » n’est pas à lire au figuré avec, en filigrane, la représentation d’un membre de la génération Z dépensant son « temps de cerveau disponible [1]» devant l’objet phare de notre modernité. Non, ce nouveau numéro de Courtil en ligneS nous introduit surtout à cet élan du sujet contemporain qui peut littéralement le projeter sur l’écran, parfois seule surface possible pour limiter le surgissement de l’angoisse. L’écran devient alors la forme et le lieu d’inscription dans lesquels le sujet se mire et se déploie, et d’où il peut inventer des bricolages singuliers qui pourront l’aider à s’orienter dans l’existence.
Chaque présentation clinique de ce numéro l’illustre au plus près en partant, non pas d’un supposé protocole de médiation via l’outil numérique, mais en suivant « strictement, nous prévient Gilles Mouillac, l’usage qu’en fait au préalable le sujet et en repérant ses points d’accroche »[2].
Avec l’écran, produit de la technique marié au capitalisme, nous sommes d’emblée introduits à une clinique de l’objet et au régime de l’un-satisfaction. Si nous ne cédons pas aux fantasmes de conservateurs qui pensent le monde numérique dénué de toute forme de limite, force est de constater que ces usages présentent des affinités avec cette caractéristique de la pulsion qui n’a pas laissé Freud indifférent, la répétition. L’itération est en effet à la racine du fonctionnement technique qui s’apparente, à certains égards, à la répétition d’une trace de jouissance sur le corps. Et cette prévalence de l’abord autistique de la jouissance dans le monde numérique nous conduit à préciser, comme s’y emploie Elise Etchamendy, quelles suppléances inédites ce champ permet – au regard du serrage de la jouissance par un récit traditionnel, dans lequel il faut qu’elle soit perdue pour être retrouvée.
Les caractéristiques du monde numérique autorisent en effet des pratiques où l’imaginaire du sens peut être mis entre parenthèses. Si de l’identification s’y crée, « celle-ci, écrit Mathieu Triclot, n’est manifestement pas du même type que la grande identification au personnage, qui existe depuis qu’il y a du théâtre et de la tragédie ; l’identification, en jeu vidéo, se fait sous le régime de l’avatar plutôt que du personnage, sous la forme d’une immersion désincarnée.[3] » Cette désincarnation conduit l’utilisateur à déserter l’empathie pour la forme qu’il commande et à investir le régime de l’action, permettant de procéder à différentes coutures pour traiter le caractère énigmatique de l’autre ou l'inscription d’une perte.
Néanmoins ces pratiques risquent, précise Dominique Holvoet, « de laisser, à un moment ou à un autre, sans recours [4]», que ce soit sur le mode de l’impasse ou de la répétition infinie, si ces solutions ne se trouvent pas articulées à l’autre du transfert qui en accuse réception ou y imprime la fonction du manque. C’est la finesse de ce travail qu’il vous est proposé de suivre en découvrant ce nouveau numéro sur votre écran.
[1] Selon l'expression formulée en 2004 par Patrick Le Lay, alors président-directeur général du groupe TF1.
[2] Cf Gilles Mouillac, Usages de l'écran au Nom Lieu pour faire symptôme, publié dans ce même numéro
[3] Triclot, M., Philosophie des jeux vidéo, Paris, Zones, 2011, p. 85.
[4] Cf Dominique Holvoet, Le corps et ses gadgets, publié dans ce même numéro
illustration : image "glitch" libre de droits issue de flickr.com [https://www.flickr.com/photos/am_04_25/]
et vous ne pouvez consulter qu'une présentation de cet article.
Pour lire cet article dans son intégralité, vous devez acquérir ce numéro. Vous aurez alors accès à l'ensemble des articles.
Me connecter