28/"SUR LES ÉCRANS" / juin 2023

Dupes et non-dupes

Si l’expérience d’une cure analytique fait chuter les croyances – aux idéaux, au Père, à l’existence de « La Femme » ou encore au « rapport sexuel » – l’évaporation de ces chimères ne transforme pas l’analysant en incroyant au sens de non-dupe. Pour autant, le rapport à la psychanalyse après la fin de l’analyse et dans la passe n’est plus un rapport de croyance.

Ces considérations sur les métamorphoses de la croyance dans l’expérience analytique soulèvent la question du destin du transfert à la fin d’une analyse. Dans le texte « L’École, le transfert et le travail[1] », Jacques-Alain Miller indique qu’à la sortie de l’analyse, « La question est de savoir ce que l’on fait avec le signifiant de l’Autre barré. En fait-on simplement le Sans-Foi dont parle Lacan ? En fait-on simplement la notion qu’il n’y a pas de vérité ? En fait-on simplement permission pour le cynisme ? La passe prend alors le sens d’un Oh ! ça m’a passé, je n’y crois plus ! On voit s’avancer le non-dupe comme culmen de l’analyse. Là n’est pas ce dont il s’agit. Il s’agit que, de l’Autre barré, on tire la conséquence du travail. Parce que l’Autre ne sait pas, il y a lieu de construire, de démontrer, et ce, à partir de ce que la vérité est effet de signifiant. Cela suppose d’être dupe du signifiant, et plus précisément du discours analytique. »

La fin de l’analyse requiert la traversée du sujet supposé savoir : dans le désêtre de la fin d’analyse (désêtre dont est frappé l’analyste) « se dévoile l’inessentiel du sujet supposé savoir[2] », dit Lacan, et au terme de l’opération, l’analysant en perçoit « la faille[3] ». Ce qui est donc « liquidé » en fin d’analyse concernant le transfert, c’est « la tromperie[4] » du sujet supposé savoir sur laquelle se fondait le transfert.

Mais il n’y a pas pour autant de « traversée du transfert » (comme on dit « la traversée du fantasme »), ni de liquidation du transfert en fin d’analyse. J.-A. Miller est sans équivoque sur cette question : « L’Analyste de l’École n’est pas un animal sans transfert, il n’est pas le sujet pour qui le transfert aurait été ramené à zéro. Il est au contraire celui qui veut faire quelque chose à partir de l’Autre barré. Il est au contraire le dupe, celui qui se propose comme dupe du discours analytique, et non pas simplement celui à qui ça a passé, au sens de c’est tombé.[5] »

Cette éthique de la duperie constitue purement et simplement la dernière version de l’éthique de la psychanalyse telle qu’elle est reformulée par Lacan à partir de la fin de son enseignement, après le tournant majeur du Séminaire XX, Encore et à partir des nouveaux outils conceptuels dont il se dote à cette période. Ainsi, dans la première leçon du Séminaire « Les non-dupes errent[6] », Lacan en appelle à se forger « une éthique qui se fonderait sur le refus d’être non-dupe, sur la façon d’être toujours plus fortement dupe de ce savoir, de cet inconscient qui, en fin de compte, est notre seul lot de savoir ».


[1] Miller J.-A., « L’École, le transfert et le travail », La Cause du désir, n° 99, Navarin éditeur, juin 2018, p. 151-152.

[2] Lacan J., « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 254.

[3] Lacan J., « L’acte psychanalytique », Autres écrits, op. cit., p. 376 : « la faille aperçue du sujet supposé savoir ».

[4] Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973, p. 298.

[5] Miller J.-A., « L’École, le transfert et le travail », La Cause du désir, n° 99, op. cit.

[6] Lacan J.,  Le Séminaire, livre XXI, Les non-dupes errent [1973-74], inédit, disponible sur internet, leçon du 13 novembre 1973.

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