Numéro 4 / mai 2012

Du bordage du trou à l'abordage du langage

 

Eric est un jeune homme de vingt-et-un ans, de très grande taille, à l’allure singulière. Il déambule dans l’institution en faisant de grandes enjambées, tout son corps suivant dans un mouvement de balancier. Parfois, il s’arrête, les bras croisés, la tête levée vers le ciel et se lance dans un questionnement incessant et lancinant sur tel ou tel détail de son quotidien, attendant parfois avec délectation, parfois avec angoisse, que l’autre lui délivre toujours la même réponse. Cette attitude peut s’avérer être déconcertante et exaspérante pour son entourage, mais aussi attendrissante. En effet, elle nous dévoile l’angoisse permanente de ce sujet face à l’insondable opacité du désir de l’Autre. Ainsi quand Eric adresse une demande à l’autre, il s’évertue afin d’obtenir la garantie d’une promesse infaillible, grâce à une série d’énoncés tels que : « n’oublie pas, c’est important » ; « tu dis pas ça pour avoir la paix » ; « tu vas pas changer d’avis » ; « tu racontes pas d’histoires ». S’il ne rencontre pas cette garantie dans l’autre, son corps s’agite. Récemment, deux ouvriers devant venir dans sa famille pour une réparation ne sont finalement pas venus et Eric s’est donné un coup de poing dans l’œil, terriblement angoissé par cet insupportable imprévu. Parfois projeté tel un pantin désarticulé, il est envahi de rires fous et propulse son corps d’avant en arrière, à une vitesse frénétique.

Quand il était enfant, il tournoyait sur lui-même comme une toupie. Il se tapait aussi la tête contre le lavabo, parfois même jusqu’à saigner. Désormais, il lui arrive encore de se mettre à quatre pattes ou de se frapper le thorax avec un objet. Les parents repèrent la survenue des troubles d’Eric à l’âge de deux ans, suite à la naissance de sa petite sœur, atteinte d’une grave maladie, qui l’a emportée neuf mois plus tard. La mère d’Eric s’est dévouée à cette dernière et Eric a vécu chez sa tante. Celle-ci s’est étonnée qu’il ne réponde pas à son prénom. La mère d’Eric a dès lors pris conscience qu’elle avait toujours nommé son fils « bonhomme » ou « il ». Eric révèle une assise fragile de son énonciation. Ce n’est qu’à l’âge de neuf ans qu’il commence à utiliser le « je ». À son arrivée au Courtil, à dix ans, il est perplexe quand on s’adresse à lui en le nommant par son prénom et demande avec étonnement : « Pourquoi tu dis Eric ? » De même, il est traversé par les énoncés de l’Autre, la plupart du temps des injonctions surmoïques telles que : « tu vas pas débrancher la machine Eric ». Or, sa petite sœur, durant sa courte vie, a été assistée par une machine bruyante. De même, avant sa naissance, le père d’Eric a été blessé par une machine agricole. Eric se considère lui-même, comme une « machine à parler » et s’exprime avec une tonalité monocorde et saccadée, nous dévoilant une étrange prosodie.

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