Numéro 4 / mai 2012

« Je ne suis plus dans mes objets, maintenant je parle »

Jules a aujourd’hui dix-neuf ans. Il y a un trou dans le dossier concernant sa vie pendant ses deux premières années. La seule chose qu’on sait c’est qu’il habitait probablement avec sa mère, et qu’il a été placé en famille d’accueil à l’âge de deux ans, pour cause de négligence et maltraitance.

Lors de son arrivée dans cette famille d’accueil, et pendant plusieurs années, il ne parlait pas, ne marchait pas, se tenait raide, était pris de tremblements, se mordait, reniflait les objets, et était l’objet de l’envahissement de la jouissance dans son corps, qui se manifestait par des picotements aux pieds et au menton.

Petit à petit, il commence à parler et pourra dire que les picotements sont en fait des ondes électriques qui circulent dans son corps.

Ce qui apparait d’emblée dans le discours de Jules c’est une description détaillée, et pas très dialectisée, du monde dans lequel il vit. Il témoigne dans sa radicalité la plus extrême, de l’énigme de la condition humaine :

Tout d’abord il y a les trous. Tout ce qui fait trou le happe, le fascine, l’envahit. Les trous le renvoient aux circuits infinis qui l’angoissent terriblement. Il y a les trous des toilettes et des évacuations, une question qui l’angoisse : Où va l’eau ? Où va la nourriture qu’il a ingurgité ? Est-ce que cela s’arrête ? Y a t-il une fin qu’on puisse vérifier quelque part ? Et cela s’étend à tous les circuits infinis, mélangeant dans ses questions, le monde extérieur et son propre corps : il y a la circulation des eaux, les circuits électriques… Quand s’arrête un compteur électrique ? D’où vient le sang qui circule dans les veines ? Est-ce qu’il s’arrête de circuler ?... Face à cette impossibilité de mettre un terme à l’infinitude, il a parfois trouvé un refuge temporaire dans le dessin, il dessine des circuits avec un début et une fin, des inventions rocambolesques, qui ne l’apaisent pas souvent, et, la plupart du temps, ses dessins finissent détruits en morceaux et éjectés partout dans une explosion de jouissance ; parfois, il démonte les compteurs électriques, les tuyauteries, les radios, cherchant désespéramment le point final où ça s’arrête ; ou alors il bouche les tuyauteries des toilettes avec des nombreux objets, qui finissent à un moment donné par exploser réellement. Il a parfois aussi des moments, où il s’explose lui-même, en s’arrachant des morceaux de son bras, se mordant à sang, se taillant le visage et autres parties de son corps, se cognant la tête contre le mur, etc.

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