Numéro 6 / septembre 2012

Occupation ou préoccupation ? Un atelier d'écriture avec de jeunes adultes

Écrire, c’est perdre. Car inscrire une trace sur une feuille blanche, à un niveau qui pourrait apparaître comme le « degré zéro de l’écriture », c’est redoubler d’abord le meurtre de la chose par le signifiant, comme Lacan le reprend à Hegel. Mais une telle inscription suppose qu’un sujet ait eu la possibilité de symboliser a minima la présence et l’absence de l’Autre, comme le petit neveu de Freud jouant de sa bobine et mettant en forme les allées-et-venues de sa mère : Fort/Da. Que cette symbolisation n’ait pas eu lieu, et l’on peut voir certains sujets, dans l’autisme par exemple, rayer la feuille avec rage jusqu’à la trouer. Ce premier niveau de la trace n’est donc pas rien, et pourrait être considéré comme la tentative d’inscrire dans le réel, sur le support de la feuille, un tenant-lieu d’absence, une manière de fabriquer du tiers, ou encore, comme l’écrit Éric Laurent dans son article « Le trait de l’autiste », d’inscrire par la trace « l’absence du sujet dans l’Autre ».

C’est du moins ce que j’ai eu à saisir aux balbutiements de l’atelier écriture que j’anime au Centre de Jour La Papoterie du Courtil avec de jeunes adultes aux prises avec leur psychose. Il s’est agi de lâcher sur un idéal, celui d’accompagner ces sujets dans l’expression, possiblement libératoire, de leurs souffrances psychiques. Pendant plusieurs mois en effet, l’atelier se composa de moi-même et du jeune Christopher, qui inlassablement venait recopier chaque mercredi la même recette de gâteau au chocolat, trouvée dans un livre de qui traînait là. Le texte recopié, il la déposait dans une pochette à son nom, et repartait, tout content. Ainsi, il ne disait rien ! Mais l’application qu’il mettait à rester concentré trente minutes à tracer des mots dont parfois il ne connaissait pas le sens, fut une indication précieuse de l’orientation à donner à l’atelier. Il me montra la voie, celle du travail de la lettre, de la matérialité du signifiant, d’un travail graphique dont ce jeune put se soutenir un temps. Aux prises avec la férocité de la pulsion orale, il contenait dans chacun de ces mots en rapport avec la nourriture une jouissance qui la plupart du temps le débordait, et s’en séparait aussi.

Cette pratique n’est donc pas tant le « degré zéro de l’écriture », qu’un traitement, et choisi par le sujet, du réel auquel il a affaire. C’est ce dont j’aimerais témoigner ici : dans l’atelier, les résidents qui choisissent de venir écrire tentent d’inscrire, via le signifiant pris dans sa dimension réelle, matérielle, quelque chose du symbolique. Partant, triturer les mots, sans vouloir en extraire la signification, leur permet parfois de s’inscrire dans un lien social plus apaisé.

Un cadre

Pour éviter le possible petit vertige que jeunes comme intervenants peuvent ressentir devant la page blanche au moment de se lancer pour écrire, j’arrive avec un poème, une phrase, un vers, un son, autant d’embrayeurs rassurants pour oser. Parfois, un des jeunes propose autre chose. Alors, l’un se met à dessiner sans se préoccuper de la proposition mais attentif toutefois à la lecture finale des textes de chacun, l’autre vient avec une idée bien précise mais tente tout de même de suivre la consigne, avant de laisser tomber. Un autre dresse avec moi la liste des mots qui riment avec le mot lancé pour s’en servir ensuite comme matériel d’un récit. En une heure à peine, chaque jeune se saisit donc d’une manière totalement originale et spécifique de la proposition du jour : autant de pratiques d’écritures se dévoilent, et se particularisent, au fil du temps, autant de fonctions de l’écriture se donnent donc à voir.

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