Numéro 6 / septembre 2012

Une respiration

Ce texte a été présenté lors de la journée de rentrée du Courtil de septembre 2011, dont le thème était « Lire l’évènement ».

Gabriel vient d’avoir dix ans. Il se compte depuis lors comme un préado, tandis que son frère de quinze ans est, lui, un ado. Depuis quelques mois déjà, Gabriel tente d’inscrire ce corps qui grandit dans le signifiant : il refuse de porter ses habits ordinaires, de taille dix ans, et choisit électivement des habits sans inscription de taille ou de taille douze ans, quatorze ans, voire du quarante-deux de son père qu’il s’approprie. Sa mère nous apprend qu’à dix-huit mois, Gabriel a appris à marcher après avoir enfilé les chaussettes de son grand frère. Le corps de Gabriel ne tient pas bien tout seul. Il est envahi de douleurs diffuses, qui arrivent et repartent aussi soudainement, lui arrachant des hurlements. Il s’agit d’un corps dont le langage s’empare, les mots ne précisent pas son corps, ne le définissent pas. Un jour, une collègue rappelle à la cantonade que les coups sont interdits dans le groupe. La réplique ne se fait pas attendre pour Gabriel : seul dans le jardin, il crie soudain, il s’est pris un coup. Un coup du signifiant, directement imprimé sur son corps. Dans sa tête, Gabriel entend perpétuellement des cris bruts et des voix qui conversent entre elles ou lui donnent des ordres : « frappe ceci, casse cela ». Gabriel est traversé par les mots des séries télé que sa mère regarde et qui lui reviennent sous forme d’hallucination : « Je dois tuer le président », nous dira-t-il un jour. Parfois, il fait la radio : « Mesdames, messieurs, ici radio Lille, voici une chanson de 1980, non 92, non 2000 ! ».

C’est difficile pour ce petit garçon de parler : les mots lui échappent, ils n’en font qu’à leur tête. Quand il essaie d’en dire un, plusieurs arrivent en même temps ; Gabriel balbutie, il est alors envahi de ce qu’il nomme ses tics et qui, dit-il, n’ont pas toujours été là : sa main tapote convulsivement sa cuisse ou son oreille droite, tout son corps est secoué de ces mots qui achoppent.

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